Amira Elghawaby nommée par le gouvernement Trudeau représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie
En mars 2018, j’écrivais un article à propos du Comité permanent du patrimoine canadien qui a présenté à la Chambre des communes son rapport Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, pour lequel il avait été mandaté en mars 2017, lors de l’adoption de la motion M-103 condamnant l’islamophobie.
Cette importante nomination d’Elghawaby n’est que le début de la mise en œuvre de ce rapport.
Regardez bien ce qui nous attend :
Quand les religions s’invitent à Ottawa (mars 2018)
Trois jours après les commémorations de l’attentat à la Grande mosquée de Québec, le Comité permanent du patrimoine canadien a présenté à la Chambre des communes son rapport Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, pour lequel il avait été mandaté en mars 2017, lors de l’adoption de la motion M-103 condamnant l’islamophobie.
On a fait grand bruit à propos de l’instauration d’une Journée nationale contre l’islamophobie alors que ce rapport est pratiquement passé sous le radar. Nous aurions pourtant intérêt à y accorder la plus grande attention.
Ce rapport contient au total 30 recommandations visant à mettre en œuvre un plan d’action national pour lutter contre le racisme systémique et la discrimination religieuse au niveau fédéral.
Il constitue à ce jour, le projet le plus vaste et le plus ambitieux jamais présenté à un gouvernement, un projet précis et rigoureux, aux ramifications multiples, un projet où l’on se sert de la religion pour imposer le multiculturalisme.
Faire de la religion une race
La première recommandation propose de mettre à jour l’actuel Plan d’action canadien contre le racisme et d’en élargir la portée, afin de l’étendre à la discrimination religieuse. Ainsi la lutte contre le racisme envers les Noirs et les Autochtones inclurait dorénavant les juifs, les catholiques, les évangéliques, les hindous, les sikhs et les musulmans.
Même si nous savons qu’une religion n’est pas une race parce qu’on ne choisit pas notre race alors que l’on peut choisir notre religion, cette recommandation, en amalgamant race et religion, permet aux différents groupes religieux de détourner à leur avantage des programmes et des mesures proposés pour lutter contre le racisme. Comme opportunisme, on peut difficilement faire mieux!
Installer les religions au cœur du gouvernement central
La seconde recommandation serait à l’effet de créer une direction chargée de la réalisation de ce plan, au sein même du ministère du Patrimoine canadien.
Doit-on s’étonner que cette recommandation ait été proposée par le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), ceux-là même qui sont contre l’interdiction du niqab et contestent la loi 62 devant les tribunaux et qui demandent que le 29 janvier soit déclaré Journée nationale contre l’islamophobie ?
Une telle recommandation va permettre aux lobbys religieux les plus militants et les plus intégristes de franchir l’enceinte du Parlement, d’avoir accès à des moyens et à des ressources inespérés dans le but d’imposer leurs vues et leurs valeurs religieuses à l’ensemble des Canadiens et de profiter des leviers politiques nécessaires à la réalisation de leurs visées.
Ainsi concernant les politiques gouvernementales, il est proposé de concevoir un cadre d’évaluation antiraciste qui permettrait de prévoir et d’éliminer les préjugés inconscients dans les politiques, les programmes et les décisions proposés. Cela signifie que, sous couvert de lutte contre le racisme, on propose ici d’épurer les politiques fédérales actuelles pour les infléchir dans le sens d’une ouverture à la diversité religieuse.
Le dialogue interreligieux pour mieux faire de la politique
Les groupes religieux demandent que le gouvernement encourage, appuie et finance les initiatives entreprises partout au Canada pour amorcer un dialogue interreligieux. Ceci leur permettra de se constituer en groupes de pression auprès du gouvernement, de s’entendre sur des objectifs communs dans le but de faire valoir leurs intérêts et d’orienter les politiques fédérales.
Ces groupes demandent également de créer un mécanisme permettant d’échanger leurs pratiques exemplaires avec le gouvernement fédéral. En clair, d’avoir leur entrée au Parlement pour leur faciliter l’accès aux politiciens comme à ceux qui participent à l’élaboration des politiques. Sans surprise, ces recommandations sont portées par des groupes de chrétiens évangéliques qui ont l’habitude d’avoir leur entrée au Parlement.
Un programme éducatif d’envergure pour formater les esprits
Pour que la diversité religieuse serve à faire la promotion du multiculturalisme, il faut impérativement mettre en œuvre un programme éducatif comportant des cibles précises.
On recommande donc une série de mesures telles, élaborer une campagne de sensibilisation auprès du public et promouvoir l’éducation aux médias, c’est-à-dire des séances de formation destinées aux journalistes afin qu’ils nous présentent une image plus positive des religions, particulièrement l’islam.
Également en collaboration avec les provinces et les territoires, élaborer pour les jeunes du matériel pédagogique sur les diverses pratiques religieuses et culturelles. Bref, un cours d’éthique et de culture religieuse à la puissance mille, dans chaque école, d’un océan à l’autre.
Instituer une formation en compétences culturelles pour un certain nombre de professions, notamment les travailleurs sociaux, les enseignants, les législateurs, les fonctionnaires, les avocats, les juges et les professionnels de la santé.
Offrir des subventions aux experts universitaires pour appuyer la création de projets de recherche sur l’islamophobie, le racisme et la discrimination religieuse systémique, qui pourraient servir à orienter les politiques publiques. Une manne pour le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil des arts du Canada et tous les futurs doctorants.
Les policiers auront aussi droit à une formation de sensibilisation raciale et culturelle.
La dernière recommandation ? Que le 29 janvier soit déclaré Journée nationale de commémoration et d’activités concernant l’islamophobie et tout autre forme de discrimination religieuse.
Trudeau et l’ingénierie du multiculturalisme
Ce rapport institue une véritable ingénierie du multiculturalisme dans laquelle les religions jouent un rôle de premier plan. En donnant à celles-ci les moyens d’accroître leur visibilité et leur légitimité, en leur offrant une protection et une autorité sans précédent, l’adoption de ces recommandations permettrait aux religions de s’immiscer dans la sphère politique, ce qui est contraire à la laïcité qui suppose une nette séparation entre les religions et la politique.
Justin Trudeau a compris l’importance de la diversité religieuse pour l’avancement du multiculturalisme. Il a compris l’importance de courtiser les minorités religieuses dans son désir de réalisation d’un État post-national. Et si le père nous a donné une Charte et une loi sur le multiculturalisme, le fils ambitionne de faire sa marque en allant plus loin dans l’application de celles-ci.
Justin Trudeau est moins un naïf qu’un ambitieux. Alors que Trump lui sert de repoussoir, il souhaite faire sa marque au niveau international en présentant le Canada comme un pays modèle en matière d’ouverture.
Trudeau, c’est l’autre Amérique, celle de l’Open Society, du néolibéralisme et de la mondialisation. Et il est prêt à prendre tous les risques, y compris celui d’ouvrir un incroyable boulevard aux pires intégrismes religieux.
L’envahissement de l’islam politique n’est pas une psychose
Dans l’article de Nicolas Bérubé « Comment le 11-Septembre a changé le Québec », paru dans La Presse le 7 septembre, le journaliste invite Michel Seymour à exposer son point de vue sur cette question.
Seymour dira que depuis les attaques terroristes du 11-Septembre, « il y a eu une montée internationale de l’islamophobie et que chez certains intellectuels français et québécois, on a commencé à sentir une sorte de psychose de l’envahissement de l’islam politique, qui curieusement n’arrive pas. »
Il ajoutera que c’est dans ce contexte que le projet de Charte des valeurs et la loi 21 sont apparues. Non pas que ceux-ci soient islamophobes, précise Seymour, mais que l’argumentaire développé par Djemila Benhabib disant que l’islam politique allait s’installer au Québec et par Fatima Houda-Pepin, qui soutenait que toutes les mosquées du Québec étaient subventionnées par l’Arabie saoudite et qu’on y enseignait le salafisme, avait une teneur islamophobe et contribuait à l’apparition de groupuscules d’extrême-droite au Québec. Bref, Michel Seymour laisse entendre que cette peur de l’islam politique n’est pas fondée et que ceux qui l’alimentent sont islamophobes.
Alors que vient de s’ouvrir en France le procès des attentats de Paris de novembre 2015, qui ont fait plus d’une centaine de victimes, où le témoin principal, Salah Abdeslam, s’est présenté comme un combattant de l’État islamique et alors que nous venons de commémorer les vingt ans des attaques du 11-Septembre perpétrées par 19 djihadistes d’Al-Qaïda et qui ont fait presque 3000 victimes, ces propos de Seymour ont de quoi faire bondir.
L’islam politique en France
Dans la foulée de la commission Stasi (2003), Jean-Pierre Obin, alors inspecteur général à l’Éducation nationale, s’est vu chargé d’une mission ayant pour but de dresser un état des lieux sur l’islamisation à l’école. Son équipe a visité 61 collèges et lycées publics, rencontrant la direction, des enseignants ainsi que des responsables de la vie scolaire. Elle constate qu’une montée en puissance du phénomène religieux dans les quartiers, notamment chez les jeunes, a un réel impact sur l’école, citant les tenues vestimentaires exprimant une identité religieuse, l’exigence de viande halal à la cantine, le prosélytisme en période de ramadan, le refus de la mixité et la contestation de certains enseignements.
En 2020, dans son livre Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Obin reviendra sur le sujet, notant une progression depuis 2004, alors qu’à travers les parents, même l’école primaire est maintenant touchée par de multiples atteintes à la laïcité.
En 2015, Gilles Kepel, spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain, publie Terreur dans l’Hexagonedans lequel il fait la genèse du djihad français de 2005 à 2015. Il y dénonce la radicalisation islamique et affirme que « l’exacerbation identitaire de la norme salafiste importée d’Arabie saoudite et exprimée dans le comportement et la consommation, constitue un modèle de rupture d’avec les valeurs de la société mécréante. » Pour Kepel, cette rupture salafiste est en arrière-plan des actes de terrorisme.
En 2019, les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot publient Qatar Papers ou comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe, un livre qui documente minutieusement le prosélytisme religieux du Qatar en dehors de ses frontières. Des révélations chocs, à la suite d’une masse importante de documents coulés par un lanceur d’alerte et qui montrent comment, à travers l’ONG Qatar Charity, le Qatar finance de nombreuses associations proches des Frères musulmans.
Les pays européens les plus ciblés par ces investissements religieux sont : l’Italie (47 projets), la France (22), l’Espagne et la Grande-Bretagne (11 chacune), l’Allemagne, la Pologne et l’Ukraine (6 chacune), la Suisse (5), la Belgique (3) et les Pays-Bas (2). Et le Canada n’est pas en reste avec 8 centres islamiques construits par Qatar Charity.
En 2020, paraît le livre Les territoires conquis de l’islamisme sous la direction de Bernard Rougier, universitaire et directeur du Centre des études arabes et orientales, dans lequel on y décrit tout l’écosystème des réseaux islamiques au sein des quartiers populaires en montrant « comment se fait le maillage des lieux de culte à ceux de loisir et d’activités professionnelles pour en arriver à la constitution de territoires de l’islam en rupture d’avec la société française. »
L’islam politique au Canada
En 2007 paraissait le livre Montréalistan – Enquête sur la mouvance islamiste du journaliste Fabrice de Pierrebourg. On y apprenait que depuis le 11-Septembre 2001, le Canada, et Montréal en particulier, s’est retrouvé au centre de plusieurs enquêtes internationales sur le terrorisme. On y retrouve également les noms de plusieurs imams salafistes ou fréristes qui ont fait les manchettes à cette époque et qui prêchaient en faveur de la charia dans des mosquées qui ont pignon sur rue à Montréal. Pensons à Salam Elmenyawi qui souhaitait instaurer un Conseil de la charia au Québec alors qu’en Ontario, en 2004, on a tenté d’instaurer des tribunaux islamiques.
En 2015 est publié Djihad.ca de Fabrice de Pierrebourg avec Vincent Larouche. Se basant sur de nombreux témoignages ainsi que des documents d’enquête de la GRC, ces journalistes exposent des individus qui, par leur propagande et leur action, constituent une menace pour notre démocratie et notre sécurité nationale.
On y apprend, par exemple, que le gouvernement canadien avait la preuve qu’entre 2005 et 2009, l’IRFAN, organisation basée à Mississauga, en Ontario, a transféré 14,6 millions de dollars à des organisations associées avec le groupe terroriste Hamas.
Qui a peur de l’islam politique ?
Le peuple ? L’extrême-droite ? Détrompez-vous, ce sont les universitaires qui préfèrent ne pas enquêter sur ce sujet. Doit-on s’étonner que dans ce pays où l’on brûle les livres, les travaux d’intellectuels et d’universitaires sur l’islam politique soient inexistants. La montée en puissance de l’islam politique est un phénomène mondial qui n’épargne ni le Québec ni le Canada. Soutenir le contraire, comme le fait Michel Seymour, revient à faire preuve d’aveuglement et d’irresponsabilité.