Loi 21: non le Québec n’est pas l’Iran!

Depuis quelques temps, en lien avec les nombreuses manifestations en Iran contre la mort de Masha Amini, arrêtée par la police des mœurs pour «port de vêtement inapproprié», circule dans les démocraties occidentales, chez des intellectuels, des artistes et des politiciens, l’idée qu’interdire aux femmes musulmanes de porter le voile ne serait pas plus acceptable que de les obliger à le porter, comme c’est le cas en Iran. 

Cette position a été défendue lors de la dernière campagne électorale par la députée solidaire Christine Labrie qui a affirmé qu’interdire ou imposer le voile islamique est une forme d’oppression, parce que l’on n’a pas à dire aux femmes comment s’habiller. Gabriel Nadeau-Dubois ajouta, pour sa part, que ceci n’est d’ailleurs pas très cohérent avec le féminisme.

Cette posture libérale reprend exactement celle défendue par la Fédération des femmes du Québec depuis 2009 et se présente orgueilleusement comme étant le nec plus ultra du féminisme; défendre la liberté de toutes les femmes, en Iran comme au Québec. Ni obligation, ni interdiction, liberté! La formule a de quoi séduire et c’est pourquoi elle rencontre spontanément l’assentiment de plusieurs car qui, en effet, voudrait priver les femmes de leur liberté ? Personne, bien évidemment.

Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit vite de l’incohérence d’une telle position, en ce qu’elle met à égalité la loi 21, qui interdit le port de signes religieux, notamment chez les enseignantes des écoles publiques et l’obligation pour les Iraniennes de porter le voile en public. 

Sérieusement, comment peut-on considérer le voile islamique comme un simple vêtement au regard de ce qui se passe actuellement en Iran et comment mettre sur le même pied l’État théocratique islamique d’Iran avec l’État démocratique laïque du Québec ? Il n’y a que l’ignorance ou la mauvaise foi pour expliquer un amalgame aussi saugrenu. 

L’Iran est un État religieux

En Iran, la religion est liée à la politique. Dans son Testament Politico-Spirituel (1989), l’imam Khomeyni insiste sur la nécessité de lier l’islam à l’État pour développer une véritable identité islamique s’opposant au colonialisme de l’Ouest, cet Occident dépravé et impie, tout autant qu’aux pays communistes de l’Est, matérialistes et athées, faisant ainsi de l’islam la pierre angulaire d’un régime politique supposément révolutionnaire. Ce qu’à l’époque, Michel Foucault avait appelé, non sans un certain enthousiasme, la « spiritualisation de la politique ». 

« Quant à ceux qui considèrent que l’islam n’a rien à voir avec le gouvernement et la politique, il faut dire à ces ignorants que le Noble Coran et la Sunna du Messager de Dieu, que Dieu le bénisse lui et les siens, ne comporte dans aucun domaine autant de prescriptions qu’à propos du gouvernement et de la politique. Bien plus : nombre des prescriptions cultuelles de l’islam sont politico-cultuelles, et c’est leur négligence qui a causé nos malheurs ». ( Khomeyni )

Vu sous cet angle, le voile islamique imposé aux femmes par Khomeyni en 1979, se présentait avantageusement comme le passeport idéal pour accéder à la citoyenneté islamique et devenait ainsi un puissant symbole d’islamisation de la société iranienne, tout en décrétant la prédominance des lois religieuses sur les lois civiles.

Ce voile se voulait aussi un élément incontournable d’un programme politique qui exclut symboliquement les femmes de l’espace public, tout en désignant la place de celles-ci dans la société islamique; celui de la famille, considérée comme le lieu naturel de la femme, avec comme devoirs, la soumission à l’époux et l’éducation des enfants. 

Par l’obligation du voile pour les femmes, on établissait ainsi les fondements de la société islamique en affirmant haut et fort la complémentarité des sexes et l’équité des droits qui en découle, tournant ainsi le dos à l’Occident, à sa révolution féministe et à sa Déclaration des droits de l’homme qui promulgue l’égalité de droit entre les femmes et les hommes.

Le Québec est un État laïque

Contrairement à l’Iran, au Québec la religion est séparée de la politique et les lois civiles priment sur les lois religieuses, de sorte que la croyance de certains ne devienne pas la loi de tous. 

L’État est neutre, il ne se mêle pas de religion et n’en privilégie, ni n’en impose aucune, laissant ainsi à chacun la liberté de choisir ses croyances ou ses convictions. C’est que l’on appelle la liberté de conscience. 

Cette neutralité s’incarne dans ses institutions publiques, justement parce que l’État est public, qu’il s’adresse à l’ensemble des citoyens, qu’ils soient catholiques, protestants, juifs, athées ou musulmans, qu’il s’adresse à eux dans ce qu’ils ont de commun, alors que la religion demeure une affaire particulière, personnelle et privée qui n’a pas sa place dans l’espace civique.

Les adversaires de la loi 21 répètent constamment qu’en interdisant le port de signes religieux, l’État se mêle de religion et dit aux femmes musulmanes comment s’habiller. C’est faux ! En interdisant le voile islamique, notamment chez les enseignantes des écoles publiques, l’État ne se mêle pas de religion, pas plus qu’il ne dit aux femmes musulmanes comment s’habiller mais il assume ses responsabilités qui sont celles de protéger la neutralité de ses institutions publiques et la liberté de conscience de chaque citoyen. 

Parce que le voile à l’école, c’est le voile dans l’État. C’est la religion dans l’État. C’est l’islam ici qui s’impose dans la politique et non l’inverse. C’est la religion qui dit aux femmes comment s’habiller, pas l’État. 

Ô liberté !

La liberté n’est pas l’absence de règles et l’interdiction du voile n’est pas l’équivalent de l’obligation de le porter parce que son interdiction chez les enseignantes permet aux élèves musulmanes d’avoir un argument pour se soustraire aux pressions de la famille et de la communauté, plutôt que de se faire dire : « Tu vas le porter le voile, regarde, ton enseignante le porte, tu vas suivre son exemple ». 

Interdire pour libérer. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’interdiction permet l’émancipation des élèves musulmanes et les protège de tout prosélytisme. Elle est là, la liberté. La liberté d’être comme toutes les autres à l’école. Un être humain, une citoyenne en devenir. Une fille comme tant d’autres. Quand on sait ce que cela représente pour des adolescentes. Voilà ce que permet la loi 21. 

Le voile islamique, aujourd’hui taché de sang, qu’il soit porté en Iran ou au Québec, sera toujours synonyme d’oppression et d’y associer la loi 21, comme le fait Québec solidaire, dans le but de discréditer cette loi afin de fidéliser une certaine clientèle, est un procédé pitoyable et malhonnête. Alors que l’on meure en Iran, ici certains se soucient d’additionner les votes!

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